Tout mène à penser que les technologies numériques ont radicalement changé la diplomatie. En réalité, les diplomates continuent de faire beaucoup de choses qu’ils ont toujours faites : collecter et analyser des informations, négocier, chercher à influencer les gouvernements et les publics étrangers, représenter leurs pays, protéger leurs concitoyens à l’étranger, promouvoir les exportations, etc. Les technologies numériques ont changé le contexte dans ces activités sont menées et ont fourni des outils pour les faciliter.
Ces outils sont particulièrement utiles pour les petits pays qui ne disposent pas les mêmes ressources que leurs rivaux. Mais les mêmes outils ont également facilité la participation aux affaires internationales des acteurs non-étatiques. Les technologies numériques permettent à des acteurs non étatiques, voire à des particuliers, de collecter et d’analyser des informations, de participer à des débats internationaux et d’influencer les résultats politiques d’une manière qui n’était auparavant accessible qu’aux diplomates gouvernementaux. Comme le montrent les pourparlers sur le changement climatique à Paris, les diplomates ne négocient plus uniquement entre eux, mais doivent dialoguer avec un large éventail de différents types d’acteurs. Cette capacité à travailler avec des réseaux d’acteurs hétérogènes à plusieurs niveaux est parfois appelée diplomatie multipartite. Les diplomates doivent non seulement dialoguer avec différents types d’acteurs, mais aussi différentes cultures et approches du monde. Les technologies numériques seront appliquées pour les aider à le faire.
Le diplomate du futur devra être habile à traiter avec l’ensemble des acteurs tout en opérant dans l’espace réel et le cyberespace en même temps.
Au sein des Ministères des Affaires Étrangères
Le rôle, voire l’existence, du Ministère des Affaires Étrangères est remis en cause depuis un certain temps. Alors que les barrières entre la politique étrangère et la politique intérieure se sont effondrées, la responsabilité politique des questions internationales incombe de plus en plus aux ministères nationaux. La coordination de la politique étrangère entre les ministères a eu tendance à migrer vers le haut des bureaux des Premiers Ministres ou les conseils de sécurité nationale. Les technologies numériques engagent de nouveaux défis, que les Ministères des Affaires Étrangères structurés hiérarchiquement ne sont pas bien placés pour relever. Les technologies numériques ont accéléré le flux d’informations et de données jusqu’à ce que leur transfert soit effectivement instantané. Les ambassades et diplomates à l’étranger n’ont pas le temps de se référer à leur ministère pour obtenir des instructions.
Paradoxalement, les nouvelles technologies de l’information reproduisent la situation du XVIIIe siècle, lorsque la lenteur des communications signifiait que les ambassadeurs devaient bénéficier d’une bien plus grande autonomie pour décider de la situation locale comme ils l’entendent, dans le cadre des orientations générales définies par leurs gouvernements. Les nouvelles technologies numériques ont tellement accéléré le cycle de l’actualité, les événements et les réactions se produisent à une vitesse si ahurissante que le processus traditionnel des ambassadeurs cherchant des instructions auprès de leur gouvernement avant de réagir aux événements n’est plus adapté. Cela est particulièrement vrai pour les médias sociaux. Si les diplomates veulent s’engager efficacement dans les échanges sur les réseaux sociaux, ils doivent répondre immédiatement. Il n’y a pas de temps pour clarifier leurs réponses proposées avec leurs ministères des Affaires étrangères. Pourtant, les ministères des Affaires étrangères traditionnels aiment garder un contrôle strict sur ce que font ou disent leurs diplomates La stratégie de l’ambassade sur les médias sociaux a été réduite à une communication à sens unique essayant de « vendre » des messages via des plateformes numériques : la propagande. À moins que les dirigeants ne soient prêts à relâcher leur emprise et à autoriser leurs diplomates à répondre aux tweets ou aux messages Facebook, dans le cadre des directives politiques générales, ils risquent de devenir non pertinents dans les principaux débats en ligne. Jusqu’à présent, très peu ont été disposés à franchir cette étape. Les comptes privés des diplomates, en particulier ceux qui servent à l’étranger, sont un problème connexe. De nombreux diplomates essaieront de contourner les contraintes imposées aux comptes officiels des médias sociaux en créant des comptes privés, accompagnés d’une mise en garde du type : « c’est mon compte privé : les opinions exprimées ici ne sont pas celles de mon gouvernement ». On peut se demander si cette mise en garde fait l’affaire.
Dans le monde physique, un diplomate à l’étranger représente toujours son pays dans les espaces publics. Si un diplomate se conduit mal en public, ou dit quelque chose qu’elle n’aurait pas dû dire, cela se répercute sur son ambassade et, finalement, sur son pays. Il semble curieux que ce principe ne s’applique pas dans le cyberespace.
Dans le cyberespace, les plateformes de médias sociaux sont des lieux très publics. Les diplomates servant à l’étranger qui apparaissent dans le cyberespace seront considérés comme représentant leur pays quelles que soient les réserves qu’ils mettent sur leur fil Twitter ou leur page Facebook. C’est un autre problème de diplomatie numérique que les ministères des Affaires étrangères ont du mal à traiter. Un nouveau problème majeur pour les autorités étatiques et leurs diplomates est la tendance croissante des dirigeants politiques à exprimer leurs pensées et leurs opinions directement sur les réseaux sociaux. Le plus connu est le Président américain Donald Trump et son compte Twitter (@realDonaldTrump), mais il n’est pas seul, et c’est une tendance qui pourrait augmenter à mesure que la « génération numérique » atteignent progressivement des positions de pouvoir et de responsabilité.
Les politiciens ont toujours fait des déclarations controversées, souvent sans penser aux répercussions possibles à l’étranger. Néanmoins, dans le monde analogique, de telles déclarations ont mis du temps à atteindre un public étranger. Les ambassades pourraient arbitrer l’impact des déclarations ou discours publics de leurs dirigeants politiques sur les gouvernements ou les publics étrangers, en les « interprétant » pour les ministères des Affaires étrangères ou les médias locaux. L’utilisation directe des médias sociaux par les dirigeants politiques rend cela difficile, voire impossible. Controversé, les diplomates sont réduits à payer les pots cassés par la suite.
Par Guy-Stéphane Bouedy, Consultant en relations internationales & diplomatie