Le numérique constitue une rupture tant tactique que stratégique. La continuité qui existe entre les usages civils et militaires du numérique en fait autant un avantage qu’un défi pour les services de sécurité et de défense. La cyberguerre ne comprend, à proprement parler, que les actions de « cybersabotage » voire de « cyber ingérence ». Cependant, ces types d’opérations partagent la majorité de leurs étapes avec le « cyberespionnage ». Le seul élément qui les distingue véritablement est l’usage qui est fait de l’accès aux systèmes ou aux données de la victime. Il n’y a donc que quelques lignes de code ou un tweet qui séparent véritablement le « cyberespionnage »du « cybersabotage » ou de la « cyberinfluence », brouillant ainsi les différences entre des activités « tolérées » en temps de paix et des activités qui pourraient constituer un acte de guerre. Cette profonde ambivalence des moyens numériques confère un pouvoir majeur aux acteurs non-étatiques et engendre des conséquences importantes sur l’évolution des rapports de force internationaux.
Les tensions permanentes engendrées par l’utilisation généralisée du cyberespace à des fins offensives s’inscrivent dans une évolution plus large : c’est l’expression d’une nouvelle forme d’affrontement, qu’on peut qualifier de « conflits non linéaire ». « Conflits » car les attaques ne dépassent pas le seuil de la guerre ouverte, et « non-linéaire », car ce conflit mené dans nombreux domaines – politique, économique, légal, cyber, informationnel – n’a pas de ligne de front physique.
De nos jours, une nouvelle dynamique est ainsi lancée et créée déjà un nouveau cercle de grandes puissances : les « puissances cyber ». Elles bénéficient d’une projection de force et s’affrontent virtuellement et surplombent le cyberespace : les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Certains pays émergent en la matière à l’instar du Royaume-Uni, d’Israël et de l’Iran. La question à se poser concerne l’autonomie stratégique de l’Union Européenne. En France, un poste d’ambassadeur du numérique a été ouvert afin de se faire une place dans les négociations multilatérales au sujet d’internet, qu’il s’agisse de sa gouvernance, de la liberté d’expression, de la propagande terroriste, de la cybersécurité ou encore de la propriété intellectuelle. Ces discussions se font avec les autres Etats, mais aussi et surtout avec les grandes entreprises du numérique et de la technologie.